L’Homme est une « mécanique » très complexe. Personne, même pas les spécialistes les plus pointus des sciences humaines, ne peut se targuer de pouvoir accéder à toutes les pensées d’un individu et de comprendre toutes ses réactions. Il lui est quasi impossible également de prévoir à coup sûr comment il se comportera dans une situation donnée. Finalement, n’est-ce pas mieux ainsi, même si cela peut irriter parfois ?
La compréhension fondamentale de l’Homme, l’étude de son fonctionnement cognitif, de ses processus de décision, autant de thématiques étudiées en ergonomie. Dans l’ensemble, ces derniers voient dans la compréhension du psychisme humain la possibilité d’améliorer son quotidien.
Les champs de l’étude de l’Homme et de la psychologie sont trop vastes et ne peuvent être épuisés dans un article. Il m’a paru opportun cependant de présenter quelques mécanismes cognitifs qui influent profondément sur la manière dont les humains traitent l’information et prennent des décisions. Il s’agit de la perception, de la mémoire et des biais cognitifs.
La perception
Le fonctionnement de l’être humain est basé sur la perception. Elle lui permet d’organiser les stimulations (sensations) qui lui parviennent du monde extérieur ou de son propre corps. Ces stimulations sont traitées neurologiquement par les organes des sens et le système nerveux central. Les sens fonctionnent comme un système de récepteurs, capable de capter et de traduire plusieurs formes d’énergie (stimuli), et de les transmettre au cerveau sous la forme d’influx nerveux. Selon le type de stimulus, les zones de traitement du cerveau diffèrent. Il y existe des zones spécialisées dans le traitement des stimuli olfactifs, visuels, auditifs, tactiles, etc.
Les mécanismes de la perception ne peuvent être réduits à de simples réceptions de stimulations. Les sens sont bien entendu les instruments de la perception, les liens qui relient l’organisme au monde extérieur. Mais pour être utilisables, informations recueillies par les organes de sens (oreilles, yeux, doigts, nez), doivent subir un traitement. C’est le rôle du système nerveux central qui, par la pensée et la connaissance, reconnaît et interprète les informations qui lui sont envoyées par les organes des sens, et les traite, pour détecter un danger ou identifier une information recherchée, par exemple.
Cette brève présentation de la fonction perception suffit pour comprendre l’importance d’en tenir compte quand on travaille avec des humains (en ergonomie, par exemple). Comment s’assurer qu’une information est directement visible sur un site Internet ? L’information donnée est-elle bien interprétée ? Un objet est-il facile à tenir dans la main ? La liste de questions visant à mieux comprendre l’interaction de l’Homme avec son environnement par la fonction perception est quasiment infinie.
La mémoire
Considérée comme l’une des principales facultés de l’esprit humain, la mémoire désigne la capacité d’un individu à se souvenir de faits passés, grâce à des fonctions de stockage et de restitution.
Pour la facilité du propos, contentons-nous de distinguer les deux types de mémoire les plus habituellement mentionnées :
- la mémoire à court terme (de travail)
- la mémoire à long terme
Lorsqu’on prête attention à un stimulus, la mémoire dite de travail est la première à se mettre en oeuvre. Sa capacité de stockage et de restitution est limitée. On peut mentionner dans ce domaine les travaux de George A. Miller (1956), qui a défini le concept d’empan mnésique. Il désigne le nombre d’éléments que l’on peut restituer immédiatement après les avoir entendus ou vus. L’empan mnésique atteint la valeur de 7 ± 2 items, ce qui signifie que l’Homme est capable en général de mémoriser à court terme 5 à 9 éléments. En dessous de 5 éléments, la mémorisation est aisée, au-delà de 9, elle devient problématique. Sauf en ayant recours à des moyens mnémotechniques.
On parle de mémoire à long terme lorsqu’une information traitée est entreposée en mémoire par un processus de répétition ou d’intégration. On distingue généralement trois types de mémoires à long terme qui se différencient par leur contenu.
- La mémoire épisodique comprend les souvenirs des événements vécus. C’est la mémoire de l’expérience personnelle.
- La mémoire sémantique porte sur les faits et les connaissances générales (connaissances factuelles sur le monde, définitions de concepts abstraits, etc.). Elle fonctionne à partir de concepts objectifs, ce qui la rend plus fiable et solide que la mémoire épisodique qui elle peut être fortement influencée par les émotions.
- La mémoire procédurale porte sur les habiletés motrices, les savoir-faire, les gestes habituels. C’est grâce à elle qu’on peut se souvenir comment exécuter une séquence d’actions. Elle est considérée comme très fiable et conserve les souvenirs même s’ils ne sont pas utilisés pendant une longue période. La mémoire procédurale est implicite, toutefois, elle présente l’avantage de pouvoir être explicitée lorsque le sujet est questionné. Exemple : on n’oublie pas comment rouler à bicyclette, même si on ne l’a plus fait depuis des années…
On peut difficilement travailler efficacement avec les êtres humains, sans tenir compte des trois formes de mémoire.
Elles nous apprennent d’abord que la capacité de traitement de l’information de l’Homme est puissante, mais qu’elle a ses limites. Il est donc illusoire de lui demander d’assimiler trop d’informations en mémoire de travail, car cela nuira inévitablement à sa performance (par exemple, devoir retenir trop d’informations lors de l’encodage informatique d’un dossier).
La mémoire procédurale, enfin, intéresse tout particulièrement les ergonomes et les psychologues du travail, car elle est fortement mobilisée dans les activités professionnelles. Les procédures, les routines de travail rythment les journées des travailleurs et sont de ce fait un véritable tissu de connaissances que l’on peut observer si on veut comprendre les fondements d’un métier et intégrer l’activité des opérateurs.
Les biais
L’objectivité n’existe pas, dit-on. Cela signifie que chacun de nous perçoit et restitue une réalité qui peut être filtrée par des biais.
Un biais cognitif est une erreur dans la prise de décision et/ou l’adoption d’un comportement dans une situation donnée. Cette erreur résulte d’une faille ou d’une faiblesse dans le traitement des informations qui sont à la disposition de la personne concernée.
Ces biais cognitifs sont généralement inconscients. Ce qui veut dire que les personnes victimes de ces erreurs de raisonnement sont souvent incapables de se rendre compte de ceux-ci et de leur effet sur leurs raisonnements et leurs prises de décisions.
L’étude de ces biais s’applique à divers domaines : justice, science, industrie. Ils exigent d’analyser avec soin les témoignages d’un individu avant de conclure à leur véracité et ils aident à comprendre les mécanismes de persuasion en prévention (pour mesurer les effets de campagnes de sécurité ou de santé publique, par exemple).
L’ergonome ne peut ignorer l’influence des biais sur son travail d’investigation. D’où le recours à des méthodes rigoureuses pour réduire la subjectivité dans l’analyse du travail.
Mais les biais sont aussi une source intéressante d’informations sur les mécanismes de la perception humaine et les phénomènes qui peuvent l’influencer. S’il intègre cette réalité dans son action, l’ergonome s’ouvre à une meilleure compréhension de l’Homme, de ses modes de pensée et de ses tendances de comportement.
Biais rétrospectif
Un biais rétrospectif désigne la tendance à juger a posteriori qu’un événement était probable ou prévisible, alors qu’avant qu’il ne se produise, personne n’aurait été capable de le prédire. Ce phénomène se traduit par des expressions comme : « Je le savais depuis le début ! » ou « C’est évident, ce n’est que du bon sens ! ».
Il affecte non seulement notre jugement sur nos propres aptitudes, mais aussi sur la prédictibilité soi-disant objective d’un événement : « C’est certain, ça ne pouvait que se passer que comme ça ! ».
En ergonomie, entre autres, les effets de ce type de biais peuvent être atténués en accroissant « les possibles » et en examinant en détail le plus de scénarios plausibles qui pourraient se réaliser dans une même situation et des conditions identiques.
Effet de simple exposition
L’effet de simple exposition augmente la probabilité d’avoir un sentiment positif envers quelqu’un ou un objet parce que nous sommes exposés de façon répétitive à celui-ci. En d’autres termes, plus nous sommes exposés à un stimulus qui ne crée pas en nous une répulsion extrême (personne, produit de consommation, environnement), plus il est probable que nous l’aimions.
En ergonomie, ce biais peut être un obstacle. Il conduit des travailleurs à vouloir préserver leurs façons de faire parce qu’ils y sont habitués, qu’ils y sont attachés, quel qu’en soit l’efficacité : « On a toujours fait comme ça ! ».
Ancrage mental
La psychologie définit un ancrage comme la difficulté à mettre en cause une première impression. Il est le résultat d’un processus qui associe inconsciemment une réaction interne à un stimulus extérieur. Se crée alors une ancre, qu’il est parfois difficile de lever.
Le lien entre un ancrage et l’ergonomie est indiscutable. La première impression que laisse un produit ou une entreprise détermine l’attachement pour eux, autrement dit leur crédibilité aux yeux des consommateurs et des travailleurs.
Les travaux sur crédibilité ne manquent pas, et on ne peut s’en étonner car elle influence fortement le comportement des utilisateurs, notamment sur Internet. Le sentiment de crédibilité qu’inspire un site (qualité, sérieux, expertise, pertinence, exhaustivité, etc.) détermine le comportement de ceux qui le visitent.
La première impression est cruciale pour la suite. Si dès les premiers instants, le site (ou le produit) paraît peu crédible pour le visiteur, il n’y portera guère d’attention. Traduction : il quittera le site ou arrêtera d’utiliser le produit, et sa décision risque d’être définitive. Tout profit pour la concurrence…
Un site Internet ou un produit n’ont de chance d’atteindre leur objectif (attirer l’attention, susciter l’intérêt, donner envie de « consommer ») que s’ils sont perçus comme « crédibles » par les utilisateurs-cibles.
Effet de halo
Une caractéristique jugée de prime abord positive ou négative chez une personne ou pour un objet a tendance à faire tâche d’huile. Par un phénomène de généralisation, l’effet de halo endort l’esprit critique. Il s’en suit que les autres caractéristiques de cette personne ou objet seront jugées positives ou négatives. Ce principe est à l’origine du principe de « marque » et de l’effet de notoriété. D’un point de vue pratique, l’effet de halo doit être contrôlé dans les situations de travail. Il peut être à l’origine d’erreurs d’interprétation et de jugement lorsque des éléments subjectifs interfèrent avec les faits. Cela peut conduire à préjuger de la fiabilité d’une machine en se basant sur des éléments subjectifs tels que son apparence extérieure, son look.
Dissonance cognitive
Un individu soumis à des cognitions (connaissances, opinions ou croyances) incompatibles entre elles, éprouve un état de tension désagréable : c’est l’état de « dissonance cognitive ». Dès lors, il mettra en oeuvre des stratégies inconscientes pour apaiser cette tension et restaurer un équilibre cognitif. Ces stratégies de rationalisation consistent en quelque sorte à oublier les éléments qui causent la dissonance.
Au niveau professionnel, la dissonance cognitive peut être à l’origine de certaines prises de position inadéquates. On comprend mieux la tendance à défendre parfois « bec et ongles » certaines décisions qui s’avèrent pourtant inopérantes ou à réinterpréter le déroulement de certains projets à leur issue.
Encore une fois, le recours aux faits et à l’analyse objective d’une situation permet d’éviter les pièges tendus par l’esprit humain.
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